Je n’ai pas pu suivre l’actualité québécoise pendant mon récent séjour en France. J’ai cru comprendre en revenant qu’il y avait été largement question de la laïcité et d’accommodements raisonnables. Ainsi :
1- Le gouvernement péquiste entend présenter à l’Assemblée nationale une Charte des valeurs québécoise en lieu et place d’une Charte de la laïcité.
« Le document, rapportait La Presse citant le ministre Drainville, présentera des « règles claires pour encadrer les demandes d’accommodement religieux » et « affirmera un certain nombre de valeurs communes », comme « l’égalité de tous devant la loi », l’égalité entre les hommes et les femmes et « la neutralité religieuse des services publics ». « Il ne doit pas y avoir de passe-droits ou de traitement préférentiels à cause de la religion des uns et des autres », a-t-il soutenu. »
Commentaire. Quelle drôle d’idée ! On n’édicte pas des valeurs par une loi, si ce n’est, parfois, dans un préambule qui, en soi, ne constitue pas une norme contraignante. Mais elle peut servir à interpréter la loi qu’il chapeaute. Fatalement, les tribunaux seront appelés à interpréter les valeurs québécoises. Cela m’apparaît parfaitement saugrenue et surtout mal avisée.
Au reste, l’égalité de tous devant la loi, la non-discrimination selon le sexe sont déjà garanties par la Charte québécoise des droits et libertés. Quant à la neutralité religieuse des services publics, elle est déjà acquise. Il peut être souhaitable de l’affirmer dans une loi, mais cela n’empêchera pas les tribunaux d’en interpréter, le cas échéant, le sens et la portée. Du reste, la Cour d’appel vient de le faire dans la fameuse cause du maire Tremblay.
2- Le Notre Père au conseil municipal
Commentaire. Je n’ai pas eu le temps de lire le jugement de la Cour d’appel dans la cause du maire Tremblay. A priori toutefois, la décision du tribunal est plus que surprenante : je n’arrive pas à comprendre comment une prière chrétienne puisse être récitée par un officier public dans le lieu même où s’exercent des fonctions publiques sans remettre justement en cause la neutralité de l’État. Cette décision mériterait d’être portée en appel.
3- Déplacer la date des élections pour accommoder les juifs.
Les libéraux voudraient ainsi permettre aux électeurs juifs de célébrer l’une de leur fête religieuse.
Commentaire. En soulevant ce lièvre, les libéraux n’ont pas vu plus loin que le nez …du lièvre! La loi électorale prévoit déjà un accommodement pour tout le monde et pour toutes les raisons que l’on pourrait invoquer : le vote par anticipation, voire par la poste. Plus accommodant que cela, tu meurs!
4- Une fédération sportive crée un drame national en interdisant le port du turban dans les matchs de foot.
Commentaire. Il suffisait d’y penser!
L’un de mes proches, juriste professionnel, me faisait remarquer que la notion d’accommodement raisonnable a subi progressivement une importante mutation. Conçu à l’origine par la Cour suprême, pour rétablir l’égalité entre les citoyens qu’une loi générale objectivement neutre peut mettre à mal. Voilà que l’accommodement est dorénavant invoqué pour lui-même, parce que l’on est différent sur le plan religieux. La Cour suprême, dans sa libéralité toute multiculturelle, a d’ailleurs prêté flanc à cette interprétation. Mais elle a commencé à « pédaler à reculons », en particulier dans l’affaire d’une secte de l’Ouest dont les membres refusent d’être photographiés en vue de l’obtention de leur permis de conduire. Le tribunal a déclaré que l’atteinte au droit à l’égalité doit être substantielle. Bref, ça doit faire mal un peu plus qu’un peu!
Cela dit, attendons voir ce que nous proposera le ministre Drainville à l’automne. Mais, à vrai dire, je n’ai guère confiance en son jugement. Surtout qu’il semble vouloir légiférer par sondage. Le Secrétariat aux institutions démocratiques qui est chargé de le conseiller a commandé à Léger Marketing un sondage sur les accommodements raisonnables. Or il confirme l’aversion d’une large majorité des Québécois, surtout francophones, pour ces accommodements. Mais, paradoxe, 58% des Québécois sont d’accord avec la présence du crucifix à l’Assemblée nationale.