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La religion est un phénomène de civilisation qui justifie son étude à l’école

 

NOTE: Ce texte était destiné au Devoir qui, faute d’espace, ne l’a pas publié. Les lecteurs de ce carnet, négligés depuis un bon moment, y trouveront, J’espère, un intérêt.

Dans un texte publié dans ces pages le 31 octobre, Mme Andréa Richard « criait haut et fort qu’il faut bannir l’enseignement religieux des écoles ». Quelques expressions tirées de son texte nous pistent sur les fondements idéologiques de sa proposition.

  • Les religions « sont d’un autre temps ».
  • […]| « Nous pouvons être heureux en laissant le religieux dans la sphère privée, entre adultes consentants ».
  • « Le favoritisme de la pratique religieuse, au détriment de la laïcité qui unit, c’est le contraire de la neutralité. C’est cautionner des extrémistes dans leur foi superstitieuse ».

Ces prémisses posées, on comprend aisément que l’enseignement religieux n’ait pas sa place à l’école. Il faut, suggère-t-elle, «  se tourner vers des cours de civisme, de philosophie pour enfants et adolescents ». D’autres suggèrent qu’on traite des religions dans les cours d’histoire. C’est qui est parfaitement logique puisque les religions seraient d’un autre temps, comme l’empire romain!

Mais les trois prémisses énoncées par Mme Richard sont-elles fondées?

Certes, les religions ont donné lieu à des superstitions, d’ailleurs souvent combattues par ces mêmes religions, et pas toujours avec élégance. Mais la question principale et essentielle est de savoir si la croyance en Dieu, fondement de toute religion, est elle-même une superstition.

Pour l’athéisme radical, disons plutôt dogmatique, toute religion est irrationnelle parce que ses dogmes et, au premier chef, l’existence de Dieu, ne reposent sur aucune preuve scientifique. On en conclut donc que Dieu n’existe pas. De fait, on ne peut prouver l’existence de Dieu. André Compte-Sponville a écrit joliment : « Si vous rencontrez quelqu’un qui vous dit : « Je sais que Dieu n’existe pas », ce n’est pas d’abord un athée, c’est un imbécile. Et même chose, de mon point de vue, si vous rencontrez quelqu’un qui vous dit : « Je sais que Dieu existe ». C’est un imbécile qui prend sa foi pour un savoir. » (L’esprit de l’athéisme : Introduction à une spiritualité sans Dieu).

D’autres réalités demeurent tout autant inexpliquées et inexplicables. Et, au premier chef, le fait qu’il y ait quelque chose plutôt que rien (Leibniz), sinon le fait que j’existe plutôt que je n’existe pas. Et ces questions sont de tous les temps, d’hier comme d’aujourd’hui.

Au plan philosophique, une réponse possible à la question de l’existence de Dieu tient à une intuition fondamentale: pour expliquer ce qui advient, mais qui finit par passer, il pourrait exister un être qui, lui, demeure et ne cesse pas d’être. Il s’agit d’une intuition raisonnable, mais non prouvable. On appelle cet être : Dieu.

On trouve dans le récit biblique du Buisson ardent, mais ici sous le registre de la foi, la même intuition. Étonnamment, elle est exprimée en des termes philosophiques. Moïse dit alors à Dieu : « Soit ! Je vais trouver les enfants d’Israël et je leur dis : ‘Le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous!’, Mais s’ils demandent quel est son nom, que leur répondrais-je ?». Dieu dit alors à Moïse : « Je suis celui qui suis ». Et il ajouta : « Voici en quels termes tu t’adresseras aux enfants d’Israël : ‘Je suis’ m’a envoyé vers vous ». (Exode 3, 13-14).

Il m’apparait significatif, dans cette perspective, que l’œuvre première qui est prêtée à l’action de « celui qui est » soit la création de l’univers et de l’homme, comme réponse au mystère, toujours actuel, de l’origine de l’un et de l’autre. Ainsi s’ouvre le livre de la Genèse dans des pages éminemment poétiques.

Je me répète : rien n’oblige à croire en la création du monde par un Dieu, pas plus qu’en Dieu lui-même. Mais rien n’autorise à reléguer cette double intuition au rang des superstitions.

Cela dit, l’existence de Dieu n’est pas qu’une affaire métaphysique. La foi en Dieu a engendré les religions. Celles-ci proposent aussi des dogmes, des morales. Elles s’expriment dans des rites. Elles s’incarnent dans des institutions. Elles sont le reflet des époques et des civilisations en même temps qu’elles les font évoluer. Leurs histoires montrent qu’elles ont charrié et charrient encore des calamités, mais qu’elles ont aussi généré et génèrent toujours des oeuvres admirables. Elles sont le fait des hommes.

Si l’on est prêt à admettre la valeur des religions, ne serait-ce que comme fait important et toujours actuel de civilisation, il n’y a pas de raisons d’en exclure l’étude de l’école. Dans le contexte québécois de l’école laïque, ce ne peut-être que comme objet culturel. À ce jour, le Québec a démocratiquement choisi en 2008 qu’il en soit ainsi à partir d’une recommandation longuement légitimée en 1999 dans le rapport du Groupe de travail sur la place de la religion à l’école que j’ai eu l’honneur de présider. Ce qui a été décidé peut certainement être démocratiquement revu et abrogé. Il conviendrait cependant que cela ne soit pas le simple résultat des pressions des humanistes athées et des religieux fondamentalistes.

Entretemps, et après bientôt dix ans d’implantation du programme, les choix pédagogiques relatifs à l’étude culturelle des religions méritent certainement d’être évalués. Ils ne reposent sur aucun dogme irrévocable.

 

 

 

LA RELIGION N’EST PAS UNE GANGRÈNE

Le Devoir publie ce matin un court article que j’ai signé sur la religion et l’athéisme. Je le reprends ici pour ceux et celles qui ne lisent pas le Devoir:

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Le texte de Daniel Baril « Le rituel humaniste existe » publié dans l’édition du 19 février du Devoir était à bien des égards pertinent. Il contenait toutefois quelques éléments franchement désolants.

Au sein de l’Association humaniste du Québec, dont Daniel Baril est un militant, on oppose l’humanisme à la croyance : « Le premier principe de la pensée humaniste, lit-on sur son site, est le rejet de croyances basées sur des dogmes, sur des révélations divines, sur la mystique ou ayant recours au surnaturel, sans évidences vérifiables. »

On peut comprendre qu’historiquement, l’athéisme ait eu à se défendre contre les religions qui le condamnaient comme étant la négation même de l’homme. Pourtant, l’humanisme « vise l’épanouissement de la personne humaine » (Antidote). Personne ne peut en faire son monopole. Ainsi, en faisant de l’amour de Dieu et tout autant du prochain le coeur du message évangélique, le christianisme est très précisément et pleinement humaniste. Dès lors, opposer l’athéisme et la religion sous ce rapport n’a pas de sens.

Daniel Baril affirme encore que la « transcendance est un concept mystificateur », autrement dit, trompeur. Voilà un débat philosophique qu’on ne pourra pas trancher ici. Certes, on ne peut prouver l’existence de Dieu ni son inexistence d’ailleurs. On peut seulement y croire. J’ai toutefois lu sur le site de l’Association humaniste du Québec que « la religion est une gangrène du genre humain qui mérite d’être reléguée au passé au même titre que la chasse aux sorcières ou les saignées comme traitement médical ». Là, je ne marche plus. Les croyants sont dignes de respect (Kant), ce qui n’exclut pas la critique ni l’autocritique.

Je n’ai aucune difficulté à admettre le caractère raisonnable de l’athéisme. Ce qui agace, c’est cette superbe épistémologique que l’on retrouve dans un certain militantisme athée. Cette superbe est d’ailleurs tout aussi détestable, sinon plus, quand elle se manifeste dans le christianisme ou n’importe quelle religion. En ces matières, il vaut mieux que chacun fasse preuve d’humilité !

Le cours Éthique et culture religieuse, déplore enfin Daniel Baril, fait peu de place « à la philosophie humaniste ». Si le programme actuel reflète de façon inadéquate ces courants de pensée séculière que sont l’athéisme et l’agnosticisme, voire « la philosophie humaniste », cela se corrige. Mais encore faudrait-il que le mouvement qu’il représente accepte la pertinence de ce cours. Or, il ne se cache pas qu’il veut le voir disparaître. Et pour cause : là où il loge, on pense que la religion est la gangrène de l’humanité.

 

LE DÉLITEMENT DU CATHOLICISME QUÉBÉCOIS

L’émission Second Regard diffusait hier dimanche un reportage sur la foi et l’incroyance des Québécois auquel j’ai participé. On a bien voulu me faire parvenir le rapport du sondage CROP qui est à la source  de ce reportage. J’en ai rendu compte dans Le Devoir de ce lundi matin sous le titre « Le délitement du catholicisme québécois ».

De quelques données significatives sur la foi et l’incroyance des Québécois

Le sondage CROP-La Presse sur la religion publiée samedi fournit quelques données qui méritent commentaires.

La première donnée, et à mon avis, la plus fondamentale, concerne la croyance en Dieu chez les Québécoises et les Québécois. Ils ne seraient plus que 59% à croire en Dieu contre 80% en 2005 et 88% en 1998 (je vous fais grâce des références); 22% n’y croient pas et sont donc athées, et 18% ne savent et sont donc agnostiques. Étonnant qu’une chute aussi importante de la croyance ait pu se produire en moins de huit ans. Plus important encore, chez les 18-34, l’incroyance est à 37%.  Paradoxalement, cette génération a reçu les cours de catéchèse à l’école!Malheureusement, ce sondage ne dit rien sur les causes de cette montée fulgurante de l’athéisme au Québec.

Deux autres données ont attiré mon attention.

La présence d’un crucifix à l’Assemblée nationale reçoit maintenant l’approbation d’une minorité (soit 41%). Je m’en réjouis. Je pense depuis des années et l’ai écrit déjà qu’il faut le transporter dans le musée de l’Assemblée nationale en tant qu’objet d’art patrimonial.  Mais que deux personnes sur cinq trouvent toujours qu’il y a sa place suffit pour faire peur à n’importe quel gouvernement : les symboles mobilisent.

Enfin, à la question : « Lequel de ces cours choisiriez-vous pour votre enfant? » 30% ont répondu un « cours d’enseignement culturel de toutes les religions? »; 31%, un » cours d’enseignement religieux et catholique » et 30%, un cours de morale. On ignore cependant quelle est l’opinion des 35-45 ans qui regroupent la majorité des parents, les premiers concernés.

Pour l’heure, le cours actuellement donné s’appelle « éthique et culture religieuse » et comprend donc les deux volets. On n’a pas proposé cette option aux répondants. Dommage. Néanmoins, en  ayant séparé dans la question, le volet éthique/morale de l’aspect culturel des religions, on mesure mieux la polarisation de l’opinion à propos de la laïcité. Le courant de la laïcité « ouverte » (dont je suis) accepte que l’école traite de la religion, mais comme science humaine, et les tenants de la laïcité « stricte » rejettent carrément ce cours, comme les Troyens auraient dû se méfier du cheval qu’on a fait entrer dans les murs de la ville!

La méthodologie du sondage soulève tout de même une interrogation: les catholiques ne forment que 57% de l’échantillon alors qu’au recensement de 2001, ils comptaient encore pour plus de 83%. On a toutefois pondéré les répondants en fonction de la religion.

ATHÉISME, GANGRÈNE ET RELIGION

Je recevais la semaine dernière un courriel personnalisé de l’Association humaniste du Québec qui commençait ainsi :

« L’Association humaniste du Québec (AHQ) est une association de gens cherchant à développer et promouvoir l’humanisme séculier. […]. Vous recevez ce courriel parce que votre adresse courriel figure sur la liste des personnes que nous estimons humanistes et influentes au Québec. »

Je me suis senti honoré. On m’offrait en même temps de me faire parvenir gracieusement par courriel le bulletin de l’Association intitulé : Québec humaniste.

J’ai donc parcouru le bulletin pour y lire ce qui suit du président de l’Association, M. Michel Pion : « À mon avis, je demeure persuadé que la religion est une gangrène du genre humain qui mérite d’être relégué au passé au même titre que la chasse aux sorcières ou les saignées comme traitement médical. »

J’ai donc répondu ce qui suit à l’invitation qui m’était faite :

« J’ai beaucoup d’intérêt pour la cause de la laïcité à laquelle j’ai œuvré pendant longtemps et à laquelle je continue d’apporter mon soutien. J’estime aussi que l’athéisme que professe votre association se défend très bien rationnellement. J’ai pour ma par trouvé chez André Compte Sponville des arguments fort convaincants dans son beau livre L’Esprit de l’athéisme. Et pourtant, je suis croyant et engagé dans ma communauté chrétienne, malgré les vicissitudes de l’histoire ancienne et actuelle de la religion dont elle ne détient pas néanmoins le monopole. Je crois aussi que la culture chrétienne est riche et je m’applique à la comprendre, l’approfondir et à la faire connaître au sein du Centre culturel chrétien de Montréal dont je préside le comité de programmation. »

J’estime que ce jugement ne fait pas honneur à votre association et qu’elle contredit même votre position, que je partage, sur la liberté de religion et de conscience. »

J’ajoute ici trois remarques  :

  1. Si la religion est une « gangrène du genre humain », les nations ont eu tort d’en faire un droit fondamental. On combat la gangrène, on ne la défend pas.
  2. Il est difficile de soutenir que le Panthéon romain, les pyramides d’Égypte, Notre-Dame de Paris, le collège des Jésuites de Québec en Nouvelle-France,  la toccate et fugue de Bach, la Piéta de Michel-Ange, l’engagement de Fernand Dumont, l’œuvre de Mère Thérèse sont tous des œuvres gangrénées.
  3.  Pour la fréquenter et tenter de la comprendre, j’estime que la pensée athée est digne d’estime et de respect. Hélas, en lisant ce que j’ai lu sur le site de l’AHQ, je suis d’avis qu’elle se discrédite.