C’était en 1968, au temps de la crise linguistique de St-Léonard. L’enjeu portait sur l’apprentissage de l’anglais par les fils et les fils d’immigrants italiens. La commission scolaire de cette ancienne municipalité avait instauré des écoles bilingues au primaire pour les garder au secteur français. Mais les élèves passaient pratiquement tous en anglais au secondaire. La commission scolaire décida d’abolir ces écoles bilingues, d’où la crise.
De leur côté, plusieurs parents d’élèves canadiens-français (on parlait à peine des Québécois, à cette époque) choisissaient aussi d’inscrire leurs enfants à l’école anglaise. Mais tous réclamaient un meilleur enseignement de l’anglais dans les écoles françaises.
À l’époque, l’Algérien Albert Memmi avait montré dans son Portrait d’un colonisé que le bilinguisme institutionnel était le fait du colonisé, le colon n’ayant que faire d’apprendre la langue de ce dernier. Bien des Québécois se reconnurent dans cette analyse. Dès lors, l’apprentissage de l’anglais devint le symbole de la domination anglophone. Le malaise, pour ne pas dire plus, persista et persiste encore. Il existe toujours une tension, je dirais structurelle, au sein des francophones, entre, disons, les pragmatiques et ceux désireux d’en finir avec le colonialisme intérieur.
Cependant, la pression sur les Anglo-Québécois produite par la loi 22 (1974) puis la loi 101 (1974) fit que bon nombre d’écoles anglo-protestantes introduisirent les classes d’immersion française dans leurs écoles. Aujourd’hui, la majorité des écoles anglophones du Québec offriraient des programmes d’immersion. Au surplus, une portion significative d’anglophones fréquentent l’école française bien qu’ils soient admissibles à l’école anglaise. L’inverse n’est pas possible en raison de la loi 101.
Dès lors, l’idée s’est répandue que les Anglo-Québécois posséderaient un avantage sur les francophones, notamment sur le plan de l’accès à l’emploi, les premiers devenant bilingues alors que les seconds ne le seraient pas.
Pour répondre aux attentes des parents, des commissions scolaires ont donc progressivement mis en place des classes d’anglais intensif en 6e année avec un succès certain. Aussi, le gouvernement Charest a annoncé il y a deux ans qu’il entendait généraliser la formule.
Pour d’aucuns, la fragilité de la langue française interdit que l’on consacre plus de temps à l’enseignement de l’anglais. On fait valoir que les Québécois francophones sont déjà plus bilingues que tout le monde. On plaide encore pour le renforcement du français comme langue de travail, où, analyse-t-on, loge le vrai problème : on continue d’y imposer abusivement l’anglais. Le PQ en voulant imposer par le projet de loi 114, la francisation des moyennes entreprises se rend, avec raison du reste, à cet argument.
Il y a aussi la donne relativement nouvelle de la mondialisation. Le phénomène a consacré, même en Europe continentale, l’anglais comme lingua franca. Cela a peu à voir avec le colonialisme dont les Québécois ont été et demeurent encore, du moins dans quelques réflexes bien ancrés, les victimes.
Pourtant, il y a une autre réalité : quand un enfant entre à l’école, ses parents ne peuvent pas prédire quel sera son avenir et jusqu’à quel degré, sa vie professionnelle future exigera l’anglais. Et ils souhaitent qu’il soit équipé le mieux possible pour faire face à cet inconnu. Chez la majorité des allophones, la stratégie passe, après un secondaire en français, par un transfert au cégep anglais, puis à McGill et Concordia. En nombre absolu, autant de francophones font de même.
Alors quoi? On piétine ou on accepte enfin de répondre aux aspirations légitimes des parents, francophones comme allophones, dont les enfants sont inscrits à l’école française : on met en place la formule la plus susceptible d’y répondre, sans mettre en péril la formation en français. Pour l’heure, l’anglais intensif semble être cette formule.
Pour ma part, j’estime que l’apprentissage généralisé et efficace de l’anglais est un but légitime de l’école québécoise. C’est là une exigence incontournable de notre temps. En conséquence, le MELS et les établissements ont la responsabilité de prendre les moyens appropriés pour l’atteindre.
Cela dit, la mise en œuvre généralisée de la formule de l’anglais intensif pose certainement des problèmes d’application pratique. Elle soulève des interrogations à propos des élèves en difficulté d’apprentissage, bien que, apparemment, d’après les expériences en cours, on les surestimerait. En tout état de cause, les enseignants, les directions d’établissements et les parents ont de bonnes raisons d’éviter l’improvisation. À cet égard, le MELS et les commissions scolaires ne doivent rien négliger pour que les choses se fassent correctement.