La récente chronique de Christian Rioux, correspondant parisien du Devoir, intitulée « Vive le latin! » est un beau morceau littéraire. Au surplus, le chroniqueur aime bien dramatiser, ce qui ajoute au plaisir de le lire!
Christian Rioux se désole du fait que nulle part dans les écoles secondaires du Québec (sauf à Brébeuf) on enseigne cette langue sur laquelle l’ élite» retraitée d’aujourd’hui a pioché jusqu’en 1966.
J’ai repéré dans son texte, les cinq arguments qu’il invoque à la défense de l’enseignement du latin. Ils méritent un examen critique.
1 – « Cette langue […] est au français ce que les mathématiques sont à la physique ».
C’est une fausse analogie, un sophisme : on ne peut pas pratiquer la physique sans utiliser les mathématiques, mais on peut parler et écrire le français sans connaître le latin.
2 – « Ailleurs dans le monde, notamment en Allemagne et en Italie, le latin a encore droit de cité. Toutes les écoles secondaires de la France, même dans les banlieues les plus reculées, proposent une option latin offerte à tous. »
C’est l’appel au troupeau. Tout le monde le fait, fais-le donc!
3- « La première [vertu du latin] consisterait à renouer avec les racines gréco-latines de notre civilisation ».
Nul doute, notre civilisation a effectivement ses racines plantées dans la civilisation gréco-latine. Mais il y a déjà des moyens plus efficaces d’y accéder que d’étudier le latin. L’histoire, l’archéologie, la philologie, la littérature, le cinéma, voire le tourisme ont à ce jour produit un immense corpus de connaissances sur Rome. Une vie entière ne suffirait pas pour en faire le tour.
Cela dit, pour que ce corpus continue à se développer, dans les générations à venir, des personnes devront continuer à maîtriser le latin, comme du reste d’autres langues mortes. Il n’est pas dit pour autant que l’apprentissage de ces langues doive se faire à l’école secondaire, même si rien ne s’y oppose en principe. L’adolescence est souvent le creuset où naissent les carrières et pourquoi pas celle de latiniste (et d’helléniste). Rioux plaide pour qu’on propose le latin en option. Je lui donne raison. Ce devrait être aussi le cas au cégep.
4 – « L’autre grande qualité de l’enseignement des langues mortes, c’est de forcer les élèves à l’un des exercices les plus formateurs qui soit : la traduction. Depuis que l’enseignement des langues vivantes est axé sur l’oral, la traduction est pratiquement disparue des écoles. Or, il n’y a rien de plus formateur que de s’interroger, pour traduire la pensée d’un auteur, sur le sens exact d’un mot, son étymologie et sa place dans la phrase. »
Voilà l’argument classique. Mais est-ce bien vrai qu’ « il n’y a rien de plus formateur » que de traduire? « Cette discipline [la traduction] , ajoute Christian Rioux, est le fondement même de tout travail sur la langue et, par voie de conséquence, sur les idées.»
Le chroniqueur sombre ici dans la pure rhétorique, sinon la caricature. Si la traduction était « le fondement de tout travail sur la langue », elle devrait être une discipline incontournable dans la formation de toute personne.
5 – « […] «sans le latin, c’est tout bonnement le « roman familial » du français qui devient illisible», écrivent Hubert Aupetit et Cécilia Suzzoni dans Sans le latin (éd. Mille et une nuits). Ils rappellent aussi que le latin est «le sésame d’un apprentissage ambitieux du français».
Voilà le dernier argument massue: l’appel à l’autorité. Autorité pour autorité, moi je lui oppose: « À bas le latin » de Régis Messac!
Bref, notre ami Rioux s’est prélassé dans les sophismes.
J’ai déjà lu quelque part que l’introduction du latin et du grec dans la Ratio studiorum des jésuites suivie pendant cinq siècles dans les collèges classiques du monde entier n’avait rien à voir avec les bienfaits qu’on lui attribue toujours. Les collèges et les séminaires, réformés par le Concile de Trente, avaient comme fonction première de former des prêtres. Aussi, a-t-on voulu tout simplement que ceux-ci puissent accéder aux textes latins et grecs des Pères de l’Église et à la philosophie médiévale écrite en latin. Hélas, j’ai perdu la référence et on pourra contester cette interprétation.
Merci tout de même à Christian Rioux d’avoir produit cette chronique plus légère à la veille des grandes vacances d’été.
En passant, lisez donc le Tintin Isla Negra de Hergé pendant les vacances. De mon côté, je m’y suis déjà essayé. Vraiment, on comprend mieux l’histoire dans la version française, L’île noire!